- Judith Biernaux
Portrait de famille des exoplanètes de TYC 8998-760-1
Découvrir des exoplanètes, c’est merveilleux. Les voir directement, c’est carrément exceptionnel.

Dans une publication scientifique de juillet 2020, un groupe d’astrophysiciens d’Europe et d’Amérique (incluant la Belgique) dévoilent cette image d’une étoile située à environ 300 années-lumière de notre planète bleue. Sur cette image, deux petits points lumineux… qui ne sont nuls autres que deux planètes en rotation autour de leur propre Soleil !
Les exoplanètes, les planètes qui tournent autour d’autres étoiles que le Soleil, constituent une vaste ménagerie : diversité de taille, de masse, d’âge, de composition, d’étoiles autour desquelles tourner… les découvrir, les observer et les étudier peut nous aider à comprendre les origines de notre propre système solaire, de notre propre planète, et de ses voisines. Malheureusement, ce n’est pas une mince affaire. Les exoplanètes sont lointaines, et le plus souvent, petites par rapport à leur étoile hôte. De plus, elles n’émettent pas de lumière propre, mais elles réfléchissent la lumière de leur étoile hôte. Elles sont souvent trop proches de cette dernière pour être repérées directement, un peu comme une luciole à côté du phare d’un camion. De ce fait, il est très difficile de les détecter par imagerie directe. L’écrasante majorité des exoplanètes sont détectées de manière indirecte, par leurs effets sur la lumière de leur étoile hôte ou sur leur environnement gravitationnel.
Un cliché rare qui en dit beaucoup

Oui, l’imagerie directe est difficile... mais elle n’est pas impossible, comme le démontre cet article. L’étoile en question, au doux nom de TYC 8998-760-1, a été observée avec l’instrument SPHERE (Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch) attaché au fameux Very Large Telescope, au Chili. Cet instrument relève les défis liés à l’imagerie directe d’exoplanètes, notamment grâce à la coronographie, une technique qui permet de masquer une partie de l’étoile hôte. SPHERE utilise également de l’optique adaptative pour améliorer la qualité de ses images. Il s’agit de finement déformer la surface de son miroir pour compenser les déformations de la lumière reçue, causées par l’atmosphère terrestre. Au lieu d’un immense miroir tout lisse et d’une seule pièce, comme la plupart des télescopes, les miroirs d’instruments à optique adaptative sont composés de nombreuses petites pièces, chacune montée sur des pistons, qui peuvent donc déformer à souhait la surface globale du miroir. Enfin, SPHERE permet également, dans certaines conditions, de séparer la lumière provenant de l’étoile et celle reflétée par les planètes, car celles-ci présentent de légères différences de couleurs et de polarisation. La polarisation de la lumière est, en bref, la manière dont les champs électrique et magnétique qui la constituent oscillent par rapport à la direction de propagation du rayon lumineux

Ainsi a été obtenue cette image claire et nette de deux planètes au voisinage de TYC 8998-760-1. Cette étoile est plutôt semblable à notre Soleil, ce qui rend cette découverte d’autant plus intéressante. Plus exactement, TYC 8998-760-1 ressemble à une version plus jeune de notre Soleil, et ses deux planètes sont des géantes gazeuses, comme nos Jupiter et Saturne... mais bien plus massives. La première, la plus proche, a été estimée à 14 fois la masse de Jupiter, ce qui est colossal, et la seconde, à 6 fois cette valeur. Une autre différence avec nos géantes gazeuses sont les distances qui séparent l’étoile de ses compagnons : ils se trouvent respectivement à 160 et 320 fois la distance Terre – Soleil de leur étoile hôte. En comparaison, la lointaine Pluton se trouve à 40 fois cette distance de notre Soleil : les masses et distances du système TYC 8998-760-1 sont donc énormes, ce qui est justement une aubaine pour l’imagerie directe. Logique : plus une planète est grosse et séparée de son étoile, plus il est possible de la repérer directement.
D’autres images d’exoplanètes
Si cette image est exceptionnelle, il ne s’agit pourtant pas du premier système planétaire dont une photo a pu être prise. En 2008, trois exoplanètes ont été découvertes par imagerie directe autour de l’étoile HR 8799, une étoile un peu étrange, variable, qui se situe dans la constellation de Pégase. Ce trio a pu être pris en photo dans le proche infrarouge, grâce à la coronographie. Cette découverte a eu lieu depuis les observatoires W.M. keck et Gemini à Hawaii. Deux ans plus tard, grâce aux mêmes infrastructures, une observation supplémentaire a permis d’identifier une quatrième exoplanète. Plusieurs photos prises périodiquement sur environ sept ans ont même permis de construire cette petite animation, qui montre les quatre confrères en orbite autour de l’étoile masquée. Ces quatre exoplanètes sont, elles aussi, très massives et lointaines de leur étoile hôte, de bonnes candidates pour l’imagerie directe. Leurs masses s’étendent entre 7 et 10 fois la masse de Jupiter, et leurs distances, de 15 à 70 fois la distance Terre-Soleil.

Le titre de première découverte par imagerie directe est également revendiqué par une autre observation, cette fois-ci autour d’une étoile visible depuis l’hémisphère Sud, Fomalhaut. Des images dans le domaine visible montrent l’environnement pour le moins riche de cette étoile : elle est entourée d’un disque de débris, un peu comme la ceinture de Kuiper (notre réserve de comètes), mais probablement plus dense. Il s’agit d’un disque de poussières en mouvement autour de l’étoile, vraisemblablement des résidus de sa formation et de sa jeunesse. Un article de 2008 montre dans ce disque un objet identifié alors comme une exoplanète. Deux images prises à deux ans d’intervalle confirment que l’objet tourne autour de l’étoile comme le ferait une exoplanète. Des études ultérieures, cependant, remarquent quelques bizarreries. D’abord, cet objet ne brille pas dans l’infra-rouge, comme il le devrait si c’était une exoplanète normale. Sa position, à presque 100 fois la distance Terre – Soleil de son étoile haute, pose également question : elle n’a pas pu se former là, il n’y a pas assez de matière dans le disque. Elle aurait pu naître plus au cœur du disque et migrer ensuite, mais une telle migration demande l’existence d’autres exoplanètes dans son voisinage, ce qui n’est manifestement pas le cas. Que diable donc est cet objet ? Une exoplanète ? Une étoile brillante en arrière-plan ? Une zone de sur-densité du nuage de poussières ? Le débat reste ouvert… et pendant ce temps-là, HR 8799 conserve son titre de première découverte par imagerie directe.

Près de 7000 mondes
Le système planétaire de TYC 8998-760-1, vu son âge et sa relative accessibilité en termes d’observation, représente une cible de choix pour la compréhension des exoplanètes en général. Caractériser plus précisément sa lumière permettrait de répondre aux grandes questions : ces planètes ont-elles une atmosphère ? Quels éléments chimiques y trouve-t-on ? En quelles quantités ? Comment et quand se sont-elles formées ? L’histoire de notre propre Terre est-elle la même ?
Avec près de 7000 entrées, les divers catalogues d’exoplanètes recèlent tout un bestiaire. De ces nombreux objets, peu sont aussi accessibles que les compagnons de TYC 8998-760-1 pour une étude plus précise. S’il est extraordinaire de recenser de plus en plus d’exoplanètes, il serait encore plus intéressant de développer les instruments et techniques d’observations capables de non seulement les détecter, mais surtout, les étudier. Beaucoup d’espoir est permis grâce au James Webb Space Telescope, petit frère du Hubble Space Telescope, mais les observations depuis la Terre ont également le vent en poupe. Il s’agira d’explorer de nouveaux mondes pour en apprendre davantage sur notre propre histoire.
Sources
Multiplanet system around sunlike star photographed for 1st time ever, Mike Wall on space.com, 22 Juillet 2020